Brexit : entre le Royaume-Uni et l’UE, qui perdra le plus ?
En plein sommet européen, et à quelques jours de la date butoir du 31 octobre, Euler Hermes fait le point sur le Brexit. Le leader mondial de l’assurance-crédit revient sur le coût généré par l’incertitude relative au référendum de 2016, et se penche sur les différents scénarios possibles et leurs conséquences. Avec en toile de fond, une question : qui souffrira le plus du Brexit ?
Avant même la sortie, le Royaume-Uni est déjà perdant
Le référendum de 2016 a laissé des traces dans l’économie britannique. La victoire du leave a plongé l’ensemble des agents économiques et des marchés dans le doute, avec des conséquences importantes et déjà visibles pour le Royaume-Uni. Ainsi, depuis 2016, la livre s’est dépréciée de plus de -20%, entrainant un recul du pouvoir d’achat des ménages britanniques. Face à l’incertitude générée par cette situation, ces derniers ont également accentué leur recours à l’épargne (-3 points du revenu disponible brut). In fine, la consommation des ménages britanniques a particulièrement souffert entre juin 2016 et aujourd’hui, ayant perdu 1 point de croissance.
Les entreprises britanniques sont également affectées par la situation. Suite à la forte dépréciation de la livre, le coût des importations britanniques a considérablement augmenté depuis 2016. Dans le même temps, l’incertitude générée par le référendum a affecté l’attractivité britannique aux yeux des travailleurs étrangers : depuis juin 2016, le nombre de travailleurs européens rejoignant le Royaume-Uni a reculé de -20%, et n’a pas été compensé par de nouvelles arrivées de travailleurs extra-européens (-2%). De quoi entrainer une pénurie de main d’œuvre sur certains postes, et donc une croissance des salaires de +4% (+1,6 points depuis le référendum). Entre incertitude et hausse des coûts, les marges des entreprises britanniques ont reculé de -3 points entre juin 2016 et aujourd’hui.
« Les entreprises britanniques doutent de l’avenir et sont sous pression, ce qui les a entrainé à réduire la voilure en matière d’investissements (-5 points depuis 2016). De même, leur trésorerie a été fortement fragilisée, d’où une explosion du nombre de défaillances entre le référendum et aujourd’hui (+20%) », ajoute Ana Boata, économiste en charge de l’Europe chez Euler Hermes.
Finalement, c’est l’économie britannique dans son ensemble qui a payé les pots cassés du Brexit… avant même son entrée en vigueur ! En 3 ans, le rythme annuel de croissance a été divisé par deux : il était de +2,3% avant le référendum, et devrait tourner aux alentours de +1% en moyenne en 2019-2020.
En UE, certains pays ont tiré leur épingle du jeu… dont la France !
Côté européen, l’incertitude relative à l’issue du Brexit a également laissé des traces. Avec la dépréciation de la livre et le ralentissement des importations britanniques qui en découle (+0,7% en 2018 vs +4% en moyenne entre 2014-17), les exportations européennes vers le Royaume-Uni se sont contractées de -1,5 Mds EUR depuis le référendum. L’impact sur la croissance de l’UE est limité, mais bien réel : entre début 2018, période durant laquelle l’incertitude s’est particulièrement accrue (approche des premières dates de sorties sans qu’aucun accord ne soit trouvé) et aujourd’hui, le Brexit a coûté -0,2 point de croissance à l’UE. Au rang des pays les plus touchés, l’Allemagne, dont les exportations sont très tournées vers le Royaume-Uni. Depuis juin 2016, l’Allemagne accuse une perte à l’export vers le Royaume-Uni de près de -8 Mds EUR, pour un impact sur la croissance de l’ordre de -0,3 point.
En revanche, certains pays sont jusqu’ici parvenus à tirer leur épingle du jeu dans un contexte pourtant difficile. C’est le cas des Pays-Bas, de l’Italie et de la Belgique, pourtant très exposés à la demande britannique. Ces trois pays ont vu leurs exportations vers le Royaume-Uni croître respectivement de +5,5 Mds EUR, +1 Md EUR et +0,9 Md EUR entre juin 2016 et aujourd’hui. Pour la Belgique et les Pays-Bas, leur statut de hub commercial les a certainement aidés alors que pour, l’Italie il s’agit d’un gain de court terme lié aux stocks de précaution.
Au rayon des pays qui s’en sont tirés avec les honneurs, on retrouve également la France. Tout avait plutôt mal commencé, puisqu’entre juin 2016 et fin 2018, les exportations françaises vers le Royaume-Uni s’étaient contractées de -1,5 Mds EUR. Néanmoins, les entreprises françaises ont pu rebondir en 2019 : rien qu’au premier semestre, les exportations françaises vers le Royaume-Uni ont cru de +2,2 Mds EUR. Comment expliquer ce regain de vigueur ?
« Finalement, la France s’en sort bien puisqu’en cumulé, ses exportations vers le Royaume-Uni entre juin 2016 et aujourd’hui ont cru de +0,7 Md EUR. Cette performance positive est essentiellement due au comportement des entreprises britanniques au S1 2019 : ces dernières, inquiètes quant à l’issue plus qu’incertaine du Brexit, ont renforcé leurs stocks de précaution. La spécialisation des entreprises françaises fait qu’elles ont su saisir ce rebond conjoncturel de demande britannique sur des produits agro-alimentaires, de joaillerie et pharmaceutiques », justifie Ana Boata.
Comment se terminera le Brexit, et qui en souffrira le plus ?
Selon Euler Hermes, deux scénarios sont envisageables pour l’avenir : un report de la date de sortie britannique de l’UE avec organisation d’élections législatives au Royaume-Uni, ou un no deal Brexit.
Scénario 1
Report de la date de sortie avec organisation d’élections au Royaume-Uni
Selon Euler Hermes, il s’agit du scénario qui a le plus de chances de se produire. Un report accompagné de nouvelles élections, remportées par une majorité de soft Brexiters, serait de nature à rassurer les marchés et les agents économiques. Ainsi, une appréciation de la livre serait attendue, de même qu’un regain de confiance des ménages et des entreprises. La consommation des ménages pourrait alors repartir de l’avant (+1,6% en 2020) et l’investissement des entreprises se stabiliser. L’économie britannique croîtrait alors, mais modérément, à seulement +0,8%. En cause, une nécessité de la part des entreprises d’écouler les stocks de précaution accumulés en 2019.
Pour l’Europe et ses membres, le pire serait alors évité. Une éventuelle appréciation de la livre serait synonyme d’amélioration du pouvoir d’achat des consommateurs britanniques et de baisse du coût des importations pour les entreprises implantées au Royaume-Uni. Toutefois, les entreprises britanniques ne devraient pas remplir leurs stocks comme en 2019, et le cours de la livre restera inférieur à son niveau post-référendum. Ainsi, ce contrecoup se sentira sur les exportations européennes: environ -2 Mds EUR de manque à gagner pour l’UE en 2020 (et -0,5 Md EUR pour la France). En matière de croissance, l’impact sera également limité, inférieur à -0,1 point jusqu’au moment où un accord avec l’UE sera signé courant 2020.
Dans ce scénario, les défaillances d’entreprises au Royaume-Uni croîtraient tout de même de +5% en 2020. Ainsi, le risque d’impayés pour les exportateurs français commerçant avec des entreprises britanniques se renforcerait. Sous l’effet notamment du Brexit, l’indice de défaillances à l’export (IDEX), qui reflète l’évolution des défaillances d’entreprises chez les principaux partenaires commerciaux de la France, augmenterait en 2020 de +5% après +4% en 2019.
Scénario 2
No deal Brexit immédiat
Bien qu’alternatif, ce scénario reste probable, et serait catastrophique pour l’économie britannique. Si un no deal Brexit survenait avant la fin de l’année, le Royaume-Uni plongerait immédiatement en récession, avec une croissance attendue de -1% en 2020 et de -0,5% en 2021. En cause, un choc sur la chaine de valeur du fait de la mise en place de contrôles douaniers qui entraineraient non seulement des coûts supplémentaire, mais également des délais de livraison plus longs. Une forte dépréciation de la livre serait également attendue : celle-ci dévisserait de -20% par rapport à son niveau d’aujourd’hui. Côté ménages, la consommation se contracterait de -1,3%. Côté entreprises, les trésoreries seraient fortement fragilisées par la hausse du coût des intrants, et les défaillances augmenteraient de +15% en 2020 et +8% en 2021. Leurs investissements reculeraient de -4% dès l’année prochaine.
Mécaniquement, les importations britanniques diminueraient fortement, impliquant une lourde perte pour les exportateurs européens et leur croissance. La zone euro dans son ensemble perdrait 0,5 point de croissance, soit un taux de croissance divisé par deux en 2020 par rapport à 2019. Les Pays-Bas et la Belgique tomberaient en récession, avec un impact sur leurs croissances respectives supérieur à -1 point. L’Allemagne serait également parmi les plus touchés, de par l’orientation de son appareil exportateur vers le Royaume-Uni, avec une perte de -0,4 point de croissance à cause du no deal Brexit.
Côté français, guère plus d’optimisme : un no deal Brexit coûterait -0,4 point de croissance à l’économie française, qui ne croîtrait alors que de +0,8% en 2020. Les exportateurs français seraient lourdement affectés, avec un recul des exportations françaises vers le Royaume-Uni de -3 Mds EUR dès l’année prochaine. Les trois secteurs les plus touchés seraient la chimie et pharmacie (-0,7 Md EUR), l’agro-alimentaire (-0,5 Md EUR) et les machines-outils (-0,5 Md EUR). Le risque d’impayé pour les exportateurs français serait également accru, avec un IDEX en forte progression, de +7% en 2020.