Suite aux résultats des élections américaines, les relations entre les États-Unis et la Chine resteront tendues et continueront à fragmenter le commerce mondial.
- Une guerre commerciale ravivée mais contenue pourrait ramener la croissance nominale du commerce mondial en dessous de 5 % en 2026 (-0,6 point de pourcentage), avec 67 milliards de dollars d'exportations menacées en Europe et en Chine en 2025-2026 (la moitié du total mondial).
- Les droits de douane appliqués par le passé sur les importations chinoises ont coûté à l'Union européenne 38 milliards de dollars par an, contre 17 milliards de dollars par an pour les États-Unis.
- Au cours des deux dernières années, les flux commerciaux bilatéraux entre pays géopolitiquement proches ont bondi de 620 milliards de dollars et représentent désormais 60 % du commerce mondial.
- Pour la France, compte tenu de la probable guerre commerciale contenue à venir, les gains cumulés à l'exportation en 2025-2026 devaient s'élever 59,8 milliards de dollars, soit 4,2 milliards de moins que notre prévision d’avant élections.
Bien que le commerce mondial reste fortement lié à l'économie américaine, la Chine s'est imposée comme une nouvelle superpuissance, en misant sur son rôle essentiel dans l'industrie manufacturière mondiale et sur l'importance et la croissance de son marché intérieur. Dans ce contexte, les tensions croissantes entre les États-Unis et la Chine remodèlent les chaînes d'approvisionnement mondiales et ouvrent la voie à de nouvelles puissances commerciales, selon une nouvelle étude d'Allianz Trade, le leader mondial de l'assurance-crédit.
En France, une situation dépendante des droits de douane américains
Concernant la France, les prévisions d’Allianz Trade sont basées sur deux scénarios bien distincts selon le degré de la guerre commerciale à venir. Dans notre scénario précédent publié en septembre 2024 et avant l'élection américaine, nous estimions que les gains cumulés à l'exportation pour la France en 2025-2026 devaient s'élever à 64 milliards de dollars. Cependant, compte tenu de la probable guerre commerciale contenue à venir, nous prévoyons maintenant que ces gains seront inférieurs de 4,2 milliards de dollars, pour atteindre 59,8 milliards de dollars.
A l’inverse, dans un scénario extrême de guerre commerciale totale et d'une augmentation des droits de douane par les États-Unis , les gains à l'exportation de la France sur la période 2025-2026 tomberaient alors à 50,6 milliards de dollars, soit 13,4 milliards de dollars de moins que notre estimation précédente.
La guerre commerciale reprend de plus belle avec le retour de Trump au pouvoir
Au cours de son second mandat en tant que président des États-Unis, Donald Trump est susceptible d'augmenter les droits de douane sur les importations chinoises et autres importations stratégiques (à 25 % pour les premières et à 5 % pour le reste du monde, à l'exclusion du Mexique et du Canada), ce qui diminuerait la croissance nominale du commerce mondial de -0,6 point de pourcentage en 2026, car la plupart des mesures entreraient en vigueur à partir du second semestre de 2025. La Chine et l'UE supporteraient la majeure partie du coût, avec 67 milliards de dollars d'exportations menacées en 2025-2026, en particulier dans les secteurs de l’automobile, des équipements de transport et des métaux. Les mesures de rétorsion chinoises et européennes devraient toucher les produits américains tels que les produits pharmaceutiques, l'automobile, les métaux, l'agroalimentaire et les machines.
« En cas de guerre commerciale totale (droits de douane de 60 % sur la Chine et de 10 % sur le reste du monde, y compris le Mexique et le Canada), le bilan s'élèverait à 2,4 points de pourcentage de la croissance nominale du commerce mondial. La Chine, le Mexique et le Canada seraient les plus durement touchés, avec des pertes d'exportations cumulées s'élevant à près de 217 milliards de dollars en 2025-2026. Mais ce scénario semble peu probable car les États-Unis devraient également faire face à un coût économique important », ajoute Ana Boata, Directrice de la recherche économique chez Allianz Trade.
Le « parrainage » américain contre la doctrine chinoise de la « soie ».
Le commerce mondial est de plus en plus façonné par les agendas géo-économiques concurrents des États-Unis et de la Chine. Les importations américaines se sont détournées de la Chine, tandis que cette dernière exporte davantage vers ses propres partenaires géopolitiquement proches (Russie, Singapour, Viêt Nam, Émirats arabes unis, Arabie saoudite). Dans ce contexte, le commerce bilatéral entre les pays géopolitiquement alignés a augmenté de 2 points de pourcentage (620 milliards de dollars) pour atteindre 60 % du commerce mondial en seulement deux ans.
« La doctrine chinoise de la « soie », centrée sur le commerce et l'industrie, s'est principalement appuyée sur le « soft power » et l'influence connective, tandis que les Etats-Unis se comportent en « parrain » en s’appuyant sur quatre piliers : (i) un engagement inébranlable à protéger les intérêts nationaux fondamentaux à tout prix, (ii) l'assurance de la loyauté au sein du réseau d'alliés historiques, (iii) une stratégie économique et militaire actives contre les rivaux et (iv) l'expansion de l'influence et du contrôle américains dans de nouveaux domaines tels que l'espace, la technologie et l'intelligence artificielle. », explique Ano Kuhanathan, Responsable de la recherche sectorielle chez Allianz Trade.
L'alignement sur les États-Unis coûte cher à l'UE
Si les États-Unis et l'UE partagent une position commune sur les questions géopolitiques, leurs intérêts économiques ne sont pas alignés. Néanmoins, l'UE a tendance à suivre les États-Unis lorsqu'ils imposent des droits de douane à la Chine - généralement l'année suivante - même si elle paie un prix plus élevé, selon les calculs d'Allianz Trade. Les droits de douane imposés par le passé à la Chine coûtent aux États-Unis 17 milliards de dollars par an (4 % de leurs importations chinoises), mais ils coûtent à l'UE près de 38 milliards de dollars par an (6,4 % de ses importations chinoises). En outre, l'UE elle-même n'est pas à l'abri des mesures protectionnistes américaines, et il existe un risque que les États-Unis et/ou la Chine suivent une stratégie de division et de conquête en exploitant les divisions internes de l'Europe pour rechercher des accords bilatéraux qui amélioreraient leurs propres positions de négociation face au bloc.
Des hubs commerciaux « Next Generation » sortent gagnants, mais rendent les chaînes d'approvisionnement mondiales plus complexes Dans les années à venir, le commerce mondial devrait connaître une croissance inférieure à sa moyenne à long terme (+3,0 % en 2025 et +3,1 % en 2026). Dans le même temps, l'indice de complexité de la chaîne d'approvisionnement d'Allianz Trade montre que les flux commerciaux mondiaux deviennent plus compliqués, les niveaux de complexité ayant doublé depuis 2017 et ayant été multipliés par 6 par rapport aux années de pandémie. Dans ce contexte, Allianz Trade identifie 25 économies qui pourraient bénéficier de cette nouvelle donne géoéconomique, étant donné leur compétitivité relativement plus élevée que celle de la Chine dans le contexte d'une guerre commerciale intensifiée de la part des États-Unis.
« Au-delà des économies à croissance rapide comme l'Inde, ce changement a ouvert des portes à des nations comme le Vietnam, la Malaisie, l'Indonésie et les Émirats arabes unis pour s'imposer comme des hubs commerciaux « Next Generation ». Nous prévoyons que la part de ces économies dans les exportations mondiales augmentera de +1,6 % au cours des cinq prochaines années, pour atteindre 1 274 milliards de dollars. Alors que ces hubs se développent pour représenter jusqu'à 21,3% de toutes les exportations mondiales d'ici 2029, ils devront également investir 120 milliards de dollars dans les infrastructures portuaires pour maintenir leur élan », ajoute Françoise Huang, Economiste Senior pour l'Asie-Pacifique et le Commerce chez Allianz Trade.
Choisir son camp dans le nouvel ordre géo-économique
En examinant les hubs commerciaux « Next Generation » et les liens géopolitiques, commerciaux et d'investissement transfrontalier d'autres grandes économies avec les États-Unis et la Chine, Allianz Trade calcule des scores de distance géo-économique par rapport aux deux pays . Ces scores montrent que la sphère d'influence de la Chine comprend davantage de hubs commerciaux « Next Generation » issus du monde émergent, tandis que la majeure partie du bloc occidental reste plus proche des États-Unis.
Sans surprise, le Royaume-Uni est le pays le plus proche des États-Unis, suivi de l'Irlande et des Pays-Bas, le Canada se situant à la 4e place et le Mexique à la 28e. La plupart des pays africains et asiatiques sont plus proches de la Chine : en moyenne 0,5 pour les pays africains contre 0,7 pour les États-Unis et 0,4 pour les pays asiatiques contre 0,6 pour les États-Unis. Mais après Hong Kong, le Canada est la deuxième économie la plus proche de la Chine, réussissant à rester proche des deux superpuissances.
« L'Australie, la Corée du Sud et la Grèce font partie des autres pays qui ont réussi à maintenir la même distance avec les États-Unis et la Chine. Ces pays sont géopolitiquement plus proches des États-Unis, mais entretiennent des relations commerciales et d'investissement très fortes avec la Chine. Cette position pourrait devenir de plus en plus inconfortable et les obliger à choisir un camp, si le nouvel ordre géoéconomique centré sur la confrontation entre les États-Unis et la Chine se détériorait de manière significative », explique Françoise Huang.