Stratégies pour transformer le secteur industriel européen

De l'industrie à forte intensité énergétique à l'industrie décarbonée

24/03/2025

Quatre industries à forte intensité énergétique (aluminium, ammoniac, acier et ciment) joueront un rôle central dans la transformation verte de l'Europe. Tout d'abord, ce sont de grands consommateurs d'énergie et émetteurs de carbone. Alors que le secteur industriel dans son ensemble représentait 25 % de la consommation finale d'énergie de l'UE-27 en 2023 et 19 % de ses émissions de gaz à effet de serre (GES), ces quatre industries sont à elles seules responsables de 7,7 % de la consommation d'énergie et de 9,7 % des émissions. Deuxièmement, elles fournissent des intrants indispensables aux industries vertes telles que les panneaux solaires et les éoliennes. Par conséquent, leur décarbonation est non seulement essentielle pour atteindre les objectifs climatiques de l'UE, mais aussi pour garantir l'indépendance stratégique. L'UE ne peut pas se permettre de perdre cette base industrielle.

Aluminium : abandonner la production au charbon

L'aluminium est le métal non ferreux le plus utilisé et il est essentiel pour les industries durables telles que les transports, la construction et les énergies renouvelables. Sa légèreté et ses propriétés recyclables le rendent indispensable pour les véhicules électriques, les panneaux solaires et les éoliennes. La demande devrait augmenter considérablement d'ici 2030, les transports (+60 %) et les équipements électriques (+50 %) connaissant la plus forte croissance. Mais la production d'aluminium reste très énergivore, représentant 2 % des émissions mondiales de GES. L'étape la plus critique de la décarbonisation est la transition vers l'électricité verte, car 65 % des émissions d'aluminium proviennent de l'électricité produite à partir de combustibles fossiles.

Ammoniac : du gris au vert

La production d'ammoniac est cruciale pour l'agriculture mondiale, 70 % de l'ammoniac étant utilisé dans les engrais. Cependant, la production d'ammoniac est le deuxième processus le plus intensif en carbone parmi les industries difficiles à réduire, générant 1 % des émissions de GES de l'UE-27. La production d'hydrogène étant l'étape la plus intensive en carbone, l'hydrogène vert, alimenté par des sources d'énergie renouvelables variables (SERV), est essentiel pour la production d'ammoniac vert. C'est également le moyen le plus rentable, avec un coût moyen de 370 dollars par tonne (au niveau mondial). Cependant, l'Europe resterait désavantagée en termes de coûts, avec des coûts de production prévus de 412 dollars par tonne, contre 343 et 403 dollars par tonne pour les États-Unis et la Chine, qui ont des coûts plus faibles, et 292 dollars par tonne pour le Brésil, qui est le plus compétitif, bénéficiant d'énergies renouvelables abondantes et d'un stockage offshore de l'hydrogène.

Acier : réutiliser, recycler

L'acier est également essentiel, avec 52 % de son utilisation dans la construction et les infrastructures, 16 % dans les équipements mécaniques et 12 % dans le secteur automobile. Cependant, la production d'acier est l'un des processus industriels les plus intensifs en carbone, contribuant à 7 % des émissions de GES. En favorisant la circularité, c'est-à-dire la production d'acier à partir de ferraille, et en réduisant la consommation globale d'acier, il est possible de minimiser la dépendance vis-à-vis des intrants à forte intensité de ressources tels que le minerai de fer et l'énergie.

Ciment et béton : réduire les émissions de clinker

La production de ciment et de béton représente 7 % des émissions mondiales de CO2, ce qui fait de la décarbonisation un défi majeur. Les émissions du secteur proviennent principalement de la production de clinker, responsable de 88 % des émissions du secteur, la plus grande part (53 % du total) étant attribuée au processus de calcination du calcaire. Pour décarboner le secteur du ciment, une combinaison de stratégies est essentielle. Le remplacement du clinker par des ajouts cimentaires peut réduire considérablement les émissions tout en diminuant les coûts d'exploitation de 2,50 à 11 dollars par tonne de ciment. Le remplacement du combustible par des déchets constitue une source d'énergie alternative rentable, tandis que l'hydrogène et l'électrification du processus de chauffage offrent des réductions d'émissions prometteuses à long terme.

Parmi les quatre secteurs, l'acier et l'ammoniac présentent les plus grands déficits de financement vert. Au cours des cinq dernières années, les dépenses d'investissement n'ont augmenté que de +3 % en moyenne par an à l'échelle mondiale, ce qui ne suffira pas à décarboner trois des quatre secteurs. Les industries de l'acier et de l'ammoniac devraient investir respectivement 2 191 milliards et 1 205 milliards de dollars supplémentaires pour atteindre leurs objectifs écologiques. Pour cela, les dépenses d'investissement doivent augmenter respectivement de +8 % et +11 % par an jusqu'en 2050. En revanche, le déficit de financement de l'industrie de l'aluminium est plus faible (317 milliards de dollars) et les investissements du secteur du ciment suggèrent que les entreprises pourraient être plus en mesure d'atteindre l'objectif de décarbonation de manière indépendante, là encore en supposant que tous les capitaux soient consacrés aux efforts de décarbonation, ce qui n'est pas le cas actuellement. Cela souligne pourquoi l'action des gouvernements est si cruciale. La collaboration public-privé est essentielle pour accélérer les progrès et aider ces industries à atteindre l'objectif de l'UE pour 2050. Les gouvernements doivent fournir des subventions, des incitations fiscales et des cadres politiques pour réduire la charge financière pesant sur les entreprises. Sans une augmentation immédiate des investissements, la voie vers le net-zéro ne fera que devenir plus difficile et coûteuse à l'avenir.